
Finies les brumes corporelles de la belle saison, voici venir le temps des épais brouillards du matin, des soleils voilés à midi et des interminables crépuscules grisous. Une petite virée en altitude est plus que nécessaire pour s'enivrer de soleil. L'arête montagneuse où nous sommes se trouve juste à la limite entre le ciel immaculé et ... le brouillard qui folâtre avec lenteur et enchantement entre les reliefs.

Dans cette zone entre deux mondes - purée de pois et clarté infinie - un Rouge-queue noir se rapproche discrètement de moi, espérant peut-être trouver une petite miette tombée à mes pieds. Avant tout insectivore, il peut manger occasionnellement de petits fruits ... mes petites miettes trouverons bien un autre gourmand. Nous sommes ici dans son royaume : montagnes et rocailles avec peu de végétation. Respect pour lui, car sans se soucier des conditions météo parfois très difficiles, ce fortiche passe toute l'année ici.

La marée de brouillard progresse imperceptiblement et s'empare des derniers escarpements rocheux pour nous plonger petit à petit dans une brume monotone. Le passage d'un vol d'une vingtaine de Grands Cormorans vient clore la représentation du jour. Il est temps de redescendre dans la peuf !

Novembre réserve souvent de belles surprises. L'une d'elle suscite l'émerveillement : la neige en grandes quantités. Plus de 25 centimètres en une nuit, ça change forcément le paysage : un autre monde où le merveilleux, le calme et le féerique se dévoilent au rêveur. Mais ce matin, Maître renard en a déjà bien profité avant moi.

Le Milan royal doit aussi, à tous points de vue, s’émerveiller de ces incroyables panoramas. Le coup d’œil de là-haut doit être sublime. Mais, revers de la médaille, cet épais manteau neigeux ne facilite pas sa recherche de nourriture, essentiellement des animaux morts et des petits mammifères.

La neige n'aura pas tenu longtemps. Deux jours d'immersion dans le lâcher prise et l'éblouissement. La hausse importante de la température aura marqué la fin de l'enchantement. Souvent, la magie se joue à quelques degrés, mais dans ce cas, ce sont près de 20 degrés de différence. Cette Mésange charbonnière doit certainement apprécier de pouvoir à nouveau accéder à son garde-manger.

Bien que les énormes quantités de neige fraîchement tombées n'affectent pas trop le Campagnol roussâtre - il se nourrit dans ce cas de mousses, de lichens et d’écorce qu'il trouve sous l'épaisse couverture neigeuse - lui aussi doit apprécier un certain retour à la normale. La neige et l'hiver qui va avec, reviendront assez tôt ... peut-être ...

Quelques jours plus tard, de très bon matin, je retourne au bord de l'étang. Un Râle d'eau parcourt les grandes étendues d'eau formées par la fonte des neiges. Lui aussi, est certainement ravi de retrouver son territoire sans neige car, lorsqu'elle reste plusieurs jours, elle le contraint à choisir des habitats plus ouverts ... ce qui le rend plus vulnérable.

Un deuxième Râle d'eau apparaît. Je n'arrive pas à déterminer s'il s'agit d'un mâle ou d'une femelle car ils sont très semblables. D'après la littérature, la femelle est un peu plus terne. Je pense qu'il s'agit du couple que j'ai déjà observé cet été avec ses jeunes. Très territorial pendant la période de reproduction, mais également durant l'hiver, le mâle ne supporterait pas la présence d'un autre mâle sur son territoire.

J'en déduis que c'est madame, car plus prudente. Elle ne s'éloigne pas de la roselière et retournera se cacher à plusieurs reprises dans la végétation. Moi, je me savoure avec ravissement le fait d'être proche d'eux ... sans les déranger. Une proximité vivifiante avec le vivant.